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La Musique en équations

Imaginer, inventer, créer.
La Musique en équations Posted on 4 novembre 2019Laissez un message
Imaginer, inventer, créer.

L’équation du monde selon R. Feynman se résumerait à « I=0 »

Cette boutade n’a d’autre dessein que de réaffirmer ce que nombre de scientifiques pensent, à savoir que le monde peut s’écrire dans le langage des mathématiques. Le but n’est évidemment pas de chercher à discuter cette problématique mais de constater que l’analyse mathématique de nombreux problèmes à conduit à la mise en place de concepts nouveaux et généralement enrichissants. Peut on tenter une telle analyse sur une construction telle qu’une œuvre musicale ?

J.S. Bach et les nombres : ces symboles

Lorsque l’on parle des compositeurs et des nombres, il est généralement entendu que l’on parlera de J.S. Bach. Sans déroger à la règle, nous noterons que l’auteur de l’art de la fugue n’a jamais rien écrit ni expliqué qui puissent laisser penser que ses œuvres étaient basées sur des combinaisons mathématiques. Cependant à son époque déjà le Cantor de Leipzig était reconnu pour écrire de la musique extrêmement savante. Si la production musicale de ses contemporains peut être analysée assez aisément, la musique de Bach résiste à une simplification trop forte et parfois même surprend par les choix qui sont réalisés. Il y a dans cette façon de garder le savoir faire un mystère, on pourrait penser un secret propre au corporatisme. Dans ce sens Bach ne dévoile rien et laisse à ceux qui en sont capables le soin de découvrir.

Portrait de J.S. Bach par Haussmann.A noter : trois mélodies pour un canon à 6 voix.

Dans ce sens le tableau de Haussmann, reproduit sur la figure 8, est significatif puisque l’on y voit Bach tenant à la main du papier à musique où l’on peut lire trois mélodies dont on sait qu’elles sont destinées à l’écriture d’un canon à 6 voix. Bach se garde cependant de donner la solution au problème.

Une autre approche consiste à penser que les choix de Bach sont dictés par une logique mathématique supérieure. On peut rappeler la théorie de Smend qui vers la moitié du XXme siècle proposait de chercher le nombre 14 dans l’œuvre de BACH et d’y voir la somme des rangs des lettres composant son nom (B=2 A=1 C=3 H=8). On voit rapidement la limite de telles recherches, 14 peut également être vu comme 2*7 et on retrouve le chiffre sept porteur de nettement plus de sens pour la chrétienté. On peut également chercher chez Bach les nombres symboliques. Ainsi dans la passion selon Saint Matthieu au moment de la Cène, Jésus annonce à ses disciples que l’un d’eux va le trahir, le chœur répond : « Herr, bin ichs ? » (« Seigneur, est-ce moi ? » ). Comme le montre la figure 9, Bach ne répète le motif que 11 fois, le traître se tait.

Extrait du coeur des disciple. « La passion selon St Matthieu »

Au commencement de La passion selon Saint Jean (cf. Fig 10), des trémolos aux cordes semblent figurer des reflets sur la mer. Si l’on considère la longueur de l’œuvre (153 mesures), on s’aperçoit qu’elle correspond au nombre de la pêche miraculeuse dans l’évangile selon Saint Jean. Bach placerait l’œuvre immédiatement dans la perspective du « Christ pêcheur d’homme ».

Début de la « passion selon saint jean »

Si ces interprétations sont moins spéculatives que les précédentes, les nombres présents chez Bach restent de l’ordre du symbolique. Mais on peut aller plus loin, si l’on considère la suite des 6 concerti Brandebourgeois ainsi que des 4 danses succédant au premier, on s’aperçoit que Bach a utilisé la symétrie des nombres pour construire ne serait ce que les proportions de cette suite dont on rappelle le nombre de mesures de chaque partie.

Concerto n°123456
3 Mouvements247322233742586301
4 Danses232

L’œuvre totale compte 2664 mesures soit 23*32*37 en prenant cette dimension, on s’aperçoit du grand nombre de décompositions possibles ainsi que de l’importance des chiffres 2 et 3.

  • Si on additionne les concerti 2 et 3 on trouve 555, les deux concerti sont donc complémentaires.
  • Les 4 danses qui succèdent au premier concerto ont 232 mesures, il est donc plus naturel de les grouper avec les concerti 2 et 3, on obtient alors 787 mesures.
  • Les concerti 1 et 4 avec 247 et 742 mesures sont palindromiques et forment une somme de 888 mesures.
  • Les concerti 5 et 6 ne laissent pas transparaître de relation triviale mais leur somme fait 989 ce qui suit 787 et 888.

Conclusion

Il est évident que sorties de toutes considérations musicales, ces relations n’ont pas véritablement d’intelligence mais il devient clair que l’on ne peut plus supposer que Bach négligeait les constructions mathématiques pour ses compositions. On retiendra que plus que des relations arithmétiques, Bach utilise les relations « graphiques » entre les nombres, les symétries et les palindromes qui tiennent en musique une place importante. On ne citera comme exemple que les œuvres de Mozart, avec le Duo de la table et Haydn avec sa 47me symphonie dite « Palindrome » dont nous mettons des extraits en annexe.

Un automate peut il composer de la musique ?

Le développement de la polyphonie et les problèmes d’harmonie qui l’accompagnent ont conduit à une formalisation toujours croissante des règles d’écriture. Que ce soit avec le développement du chromatisme ou la multiplication de grands intervalles, il est cependant vrai que l’évolution est souvent venue d’une rupture de la règle établie. Ceci dit, une époque donnée est toujours accompagnée de son lot de traités d’harmonie et de contrepoint. On pourrait s’interroger sur la part de création dans une œuvre face à l’obligation de la règle. La règle se compliquant et les contraintes croissant peut-on arriver à une écriture quasi automatique de la musique ?

La préhistoire de la composition automatique

Lorsque Mersenne écrit son Harmonie Universelle (1636) les règles du contrepoint sont déjà établies avec des relations plus ou moins consonantes entre les voix. Mersenne se pose la question de l’existence d’une mélodie parfaite satisfaisant un système de règles données. Il répond par la négative en avançant le trop grand nombre de mélodies à considérer. Malgré tout, il met en place le calcul qui en notation moderne se traduit ainsi.


Pour un ensemble de n notes dont r_1 sont répétées une fois, r_2 sont répétées deux fois….r_p, on peut composer des mélodies de r_1 + r_2 + ... + r_p notes. On dénombre alors le nombre total de mélodies possibles.

    \[Nb=C_n^{(r_1+...+r_p)}\frac{(r_1+...+r_p)!}{r_1!r_2!....r_p!}\frac{p!}{(1!)^{r_1}...(p!)^{r_p}}\]

On peut alors montrer qu’il y a 362880 mélodies de 9 notes sans répétition et seulement 90720 si on se limite à 7 notes parmi les 9 et que seule une est répétée 2 fois. Comme l’écrivait le Père Mersenne, ce dénombrement est totalement stérile dés lors que l’on ne peut estimer la valeur de chaque mélodie. Il montre cependant que la question de la composition automatique est présente très tôt dans l’histoire de la musique.

Les premiers compositeurs automatiques

Au 17me siècle Athanasius Kircher invente l’ « Arca musurgica ». Il s’agit d’une boite en bois contenant des lattes pouvant se déplacer les une par rapport aux autres. Sur chaque plaquette est inscrit un nombre qui code des paramètres musicaux. En déplaçant les plaques, on « compose » des mélodies.

Plus tard Haydn et Mozart créeront les « Musikalisches Wurfespiel » (Jeu de lancement musical). Il s’agit d’un jeu de 176 cartes où sont inscrites des mesures. Deux tableaux de 8 colonnes et 11 lignes sont remplis par le numéro des cartes. Avec deux dès on tire au sort les diverses positions dans le tableau et on compose ainsi l’un des 45.9 millions de milliards de menuets possibles.

Plus tard encore Diederich Winkel (1826) fabrique un « improvisateur mécanique » qui pilote directement un orgue. Mais ici il s’agit plus d’une pièce technologique, l’accent étant porté sur l’interprétation et non la composition.

Extrait du « Musikalisches Wurfespiel » créé par Haydn et Mozart.

Expérimentation in Musical Intelligence

Que ce soit l’ « Arca musurgica » de Athanasius Kircher ou le « Musikalisches Wurfespiel » créé par Haydn et Mozart le succès de ces constructions vient de l’assimilation par les compositeurs eux-même de règles extrêmement précises. Ceci a permis de composer des œuvres dans un style donné par exemple un menuet pour clavier de l’époque classique viennoise. De nombreux improvisateurs jouent à la manière de Bach ou de Mozart des œuvres que les maîtres n’ont jamais composées. Quelle est la part d’automatisme de ce processus ?

En 2001 Douglas Hofstadter fut professeur invité à l’Ecole polytechnique et a donné, à cette occasion, une série de conférences sur l’intelligence automatique. L’auteur de l’ouvrage « Gödel Hescher Bach », présentait au cours d’un exposé les travaux de David Cope, un compositeur américain spécialiste de la composition automatique.

David Cope (1941 -) après des études de piano et de violoncelle s’est orienté vers la composition. Il était déjà professeur d’écriture à l’université du Colorado lorsqu’il a débuté son étude de la composition automatique et créé EMI (« Expérimentation in Musical Intelligence »). Ce programme est aujourd’hui capable après avoir analysé les 32 sonates pour piano de Beethoven, par exemple, d’en écrire une 33me.

D. Hofstadter explique les grandes lignes de cet automate :

  • Dans un premier temps EMI découpe tous les éléments musicaux : notes, durées, intensité.
  • EMI cherche à reconnaître ce qui pour les musiciens est un motif et non les notes individuelles. Quelque soit sa note de base, un groupetto donne toujours un motif identique. EMI calcule donc tous les intervalles et traduit les écarts en nombre de 1/2 tons ascendant ou descendant.
  • Une fois les motifs identifiés, EMI cherche à caractériser leurs fonctions en analysant au moins 7 niveaux d’imbrication.
    • Position au sein de la mesure,
    • Position par rapport aux mesures adjacentes,
    • Position à plus longue distance,
    • Position dans l’œuvre entière.
  • Cette analyse est menée à la fois d’un point de vue harmonique mais également mélodique.
  • Chaque voix est analysée de manière à ce que lors de la recomposition le contrepoint soit respecté.
  • EMI, en se basant sur une œuvre précise, recombine les fragments qu’il a analysé et homogénéise le parcours tonal de l’œuvre.

Dans une interview, David Cope explique que EMI ne fonctionne pas du tout à la manière des précédents systèmes que nous avons présentés. En effet EMI n’est pas soumis, a priori, à des règles de composition. Selon Cope EMI réalise une analyse assez -ne des agencements de motifs pour assurer la cohérence de l’œuvre finale.

EMI a été utilisé pour des expériences de « musique historique ». Plutôt que de se limiter à un auteurs, le programme analyse les œuvres de différentes époques. Il est alors intéressant de constater que l’œuvre produite n’est pas toujours la voie choisie par les compositeurs de l’époque suivante.

Conclusion

Nous pourrons entendre lors de la soutenance que les compositions d’EMI sont surprenantes de réalisme. Il est d’ailleurs couramment admis dans le monde de l’art aujourd’hui que l’authenticité d’un Rembrandt peut devenir secondaire devant l’impact émotionnel que produit une toile qui n’est pas du maître. Nous pourrons nous interroger sur la nécessité d’une telle question vis à vis du programme EMI

Imaginer, inventer, créer.

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