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De Pythagore à Debussy, une brève histoire de la consonance

Imaginer, inventer, créer.
De Pythagore à Debussy, une brève histoire de la consonance Posted on 4 novembre 2019Laissez un message
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 » Hélas 1+2=3 ! « 

Les notes de la gamme diatonique (do re mi fa sol la si do) se di-érencient par leur hauteur relative. D’après ce que nous avons vu, un intervalle musical comme une octave ou une quinte juste peut être analysé comme un rapport de fréquences. Nous allons voir que partant ce cette simple dé-nition, nous pouvons construire les premières gammes musicales .

La gamme de Pythagore

Si l’on considère la corde vibrante sur la Figure 4, typiquement celle d’un piano, d’un clavecin ou d’un violon. Nous supposons que la corde à vide donne le do. Une des façons les plus simples pour changer la hauteur de la note consiste à placer son doigt, ou une frette à la moitié, nous obtenons alors le do à l’octave supérieure du premier (2Les violonistes savent qu’en réalité s’ils se placent exactement à la moitié, l’octave est trop haute mais cela est dû à la variation de tension dans la corde et ne réduit en rien le propos.). Si l’on recommence l’opération on entend encore un do. Cette méthode, pour simple qu’elle soit, ne conduit qu’à la note « do ».

Si l’on divise la longueur d’une corde par deux on obtient l’octave de la corde à vide.

Si l’on complique un tout petit peu le découpage on s’aperçoit qu’au lieu de partager la cordes en deux parties égales, on peut prendre une partie deux fois plus longue que l’autre. On coupe dans ce cas la corde aux 2/3 de sa longueur. On obtient alors un intervalle qui sonne agréablement selon les pythagoriciens, c’es la quinte juste ! Du « do » nous sommes passés au « sol » et en réitérant le procédé nous obtiendrons le « ré », le « la » et ainsi de suite. Pour des raisons d’ordre mystique les pythagoriciens ont cherché à construire toutes leurs gammes à partir des seuls chiffres 2 et 3, c’est à dire des intervalles d’octave et de quinte juste. Ils n’ont donc considéré comme harmonieux que des intervalles dont les fréquences (ou la longueur de la corde) entretenaient des rapports pouvant s’écrire

    \[\frac{f_1}{f_0}=\frac{2^p}{3^n}\]

Tous les problèmes rencontrés par cette construction viennent de ce que 1+2 = 3. En effet, on montre mathématiquement par un raisonnement très simple que quelques soient n et p, 2^p ne peut pas être égale à 3^n . (sauf, bien sûr, à prendre n=p=0, dans ce cas nous n’avons que le « do » !).

En termes plus musicaux cela revient à dire que si l’on progresse de quinte en quinte p fois, nous n’obtiendrons pas exactement n octaves. Commence alors les approximations qui consistent à dire que si le cercle des quintes ne se referme pas complètement ce n’est finalement pas grave du moment que l’on s’approche au mieux.

Le tableau suivant explicite, pour 4 couples (n,p), la qualité de fermeture et le système tonal qui est engendré (plus 2^p est proche de 3^n , meilleure sera la fermeture).

npéchelle
581.053pentatonique
7110.936heptatonique
12190.998chromatique
53840.997Solfège

Ainsi pour 5 quintes justes on génère la gamme pentatonique. Cette gamme est finalement une des plus simple et se retrouve dans de nombreuses cultures : en Chine, au Pérou ou en Écosse. C’est à peu près la gamme justement appelée chinoise des touches noires du piano.

Gamme Chinoise.

La fraction supérieure indique le rapport à la longueur de la corde à vide qui donne ici un La7. Les lettres indiquent le type d’intervalle (ton ou demi ton).

Si l’on utilise le couple(n=7,p=11) on trouve la gamme heptatonique qui correspond assez bien à une gamme majeure et donc aux touches blanches du piano. Si l’on considère 12 quintes successives, on retrouve naturellement la gamme chromatique et ses 12 demi-tons et en pour 53 quintes, la gamme dite « des solfèges » et ses 53 commas.

Gamme Majeure

Il est important de noter que ce type de construction produit des gammes pré- sentant deux types d’intervalles. Ils sont notés G et P sur la figure et correspondent à des tons et à des demi-tons.

La gamme harmonique

Le système pythagoricien nous a permis de construire l’octave juste et la quinte juste. Or le mathématicien Gioseppo Zarlino remarque que si l’on considère 3 cordes de longueurs L, 2/3L et 4/5L on obtient un accord très harmonieux (Il est bien sûr très probable que d’autres avant lui aient fait les mêmes remarques mais c’est lui qui formalise le système harmonique.) . En effet 4/5 correspond à la tierce majeure et le fameux accord n’est autre que l’accord parfait majeur.

Le système de l’école pythagoricienne ne peut évidemment pas donner un rapport 4/5 (5 n’est pas une puissance de 3.). Zarlino construit donc une gamme dite harmonique qui contient à la fois la quinte juste et la tierce majeure. Cette gamme est naturellement proche de la gamme pythagoricienne, nous vérifions sur la figure 7 que 4 notes sont identiques (la, si, ré et mi) les trois autres (sol, fa, do) sont légèrement plus basses dans la gamme de Zarlino.

Gamme Zarlinienne

Comme nous l’avons reporté sur la figure 7, la gamme de Zarlino ne laisse plus entendre 2 types d’intervalles (ton et 1/2 ton) comme la gamme Pythagoricienne mais 3 (ton Majeur, ton mineur et 1/2 ton).

Certains ont cherché une justification physique à la gamme de Zarlino. En effet en utilisant des rapports plus simples (le numérateur et le dénominateur sont des entiers plus petits) les harmoniques de certains accords coïncident mieux ensemble et donc l’accord paraît très stable. A l’inverse des sons dont les harmoniques sont éloignés semblent plus rugueux. La suite de l’évolution des gammes a montré que cette justification ne prévalait pas. Il est important de comprendre que de toutes ces gammes, il n’y en a pas de meilleures, elles correspondent simplement à des esthétiques différentes.

Le tempérament égale des gammes

 » En quoi le clavier de Bach est-il mieux tempéré ? « 

Que l’on considère les gammes pythagoriciennes, ou zarliniennes, nous avons vu que tous les intervalles n’étaient pas équivalents. Chaque gamme est cohérente ainsi, si des orgues sont accordées sur une gamme pythagoricienne elles joueront harmonieusement ensemble. Si par contre on souhaite ajouter une flûte et que celle-ci est basée sur une gamme zarlinienne, des frottements se feront entendre sur les 3 notes non communes aux deux gammes.

Nous avons construit notre gamme sur la base du mi par exemple, la chanterelle du violon, nous aurions très bien pu construire cette même gamme sur le sol dans ce cas nous aurions eu une gamme différente. On parle de tempérament. Lorsque que tous les tons ne sont pas équivalents, comme c’est le cas pour la gamme de Zarlino, toutes les gammes majeures par exemple ne sont pas équivalentes. C’est ce qui explique que chaque gamme possédera un tempérament différent. Cette remarque justifie à elle seule l’utilisation par les compositeurs des différentes tonalités pour traduire des expressions, des humeurs. Pourquoi parler de l’éclat d’Ut Majeur chez Bartok (4me porte du château de Barbe Bleue.) si la gamme était identique à sol Majeur (1t,1t,1/2t,1t,1t,1t,1/2t).

Quel sens aurait « cette sombre tonalité d’Ut mineur » que l’on lit régulièrement sur les ouvrages consacrés aux œuvres romantiques allemandes. Ce tempérament des gammes et donc des instruments qui servent à jouer la musique fait parti de l’esthétique recherchée par le compositeur. Lorsque l’on écoute des enregistrements sur instruments dit d’époques l’oreille est parfois choquée par des problèmes de justesse mais si on juge la couleur globale des œuvres on s’aperçoit d’un plus grand contraste que celui rendu par des instruments modernes qui tendent à gommer au maximum ces tempéraments(Cette remarque n’est pas pleinement justifiée car la couleur (le timbre) vient énormément de l’instrument. Une corde à vide sonne totalement différemment d’une corde touchée. Si le tempérament des notes est aujourd’hui assez égal, le tempérament des timbres persiste, heureusement.

Un tempérament égal consiste à construire une gamme dont l’octave est divisée en 12 1/2 tons équivalents. En terme mathématique on calcule les fréquences de façon à ce que le rapport entre deux notes successives (do et do# par exemple) soit constant.

    \[\frac{Do\#}{Do}=2^{\frac{1}{12}}\]

Le tempérament égal s’est développé parallèlement à la polyphonie et aux nécessités de transposition des œuvres. Le premier instrument bien tempéré (entendre tempéré de manière égale) fut le clavier puisque par exemple la même touche noire devait jouer à la fois le do7 et le ré7. Le cor naturel par exemple jouait en fa, c’est à dire qu’il ne possédait pas toutes les notes et devait changer de tuyaux pour transposer (les tuyaux s’appelant justement les cors) De tel instruments n’étaient évidemment pas tempérés de manière égale. En perfectionnant les instruments nous sommes arrivés aujourd’hui à des modèles chromatiques où toutes les tonalités sont présentes et également tempérées (il est clair pour les instruments à vent, par exemple, que le système n’est pas parfait et que les instrumentistes doivent corriger la plupart des notes. Ainsi s’accorder sans fin sur une note unique ne garantira jamais un concert juste.).

Conclusion

Que ce soit au solfège ou à l’instrument les notes sont souvent représentées comme des grandeurs immuables à tel point qu’on les reconnaît sorties de leur contexte et sans aucune relation avec d’autres. Si certaines pratiques solfègiques justifient cette mémorisation, la partie précédente a clairement montré que seule la relation et donc les intervalles avaient un sens musical et qui plus est que ces intervalles n’étaient en rien transcendants à la musique mais prenaient place eux aussi au sein d’une construction complexe et variée.

Claude Debussy a écrit certaines pièces dans la gamme par ton. Dans Cloche à travers les feuilles (1905) ou Images pour piano, l’auteur de La Mer utilise une gamme à 6 tons égaux qui pour son interprétation correspond sur le piano à (do, ré, mi, fa], sol], la]). Plus tard O. Messiaen intègrera cette gamme dans ses « modes à transpositions limitées » rappelant, s’il était besoin, que le tempérament égal n’est en rien plus légitime que les autres.

Très généralement, les compositeurs se heurtent à des problèmes d’interprétation, comment jouer de la musique non tempérée sur des instruments qui les sont ? Il est amusant de voir que les compositeurs d’aujourd’hui sont confrontés au problème quasi inverse de celui de leurs aînés.

Charles Ives (1874-1954) a composé dans un système à 24 sons par octave et utilisait habilement deux pianos accordés à 1/4 de ton d’écart. Les technologies actuelles permettent naturellement des solutions bien plus élaborées, aujourd’hui développées, par exemple, par l’école des compositeurs dits spectraux. Les relations de hauteurs entre les notes ont pu être quantifiées précisément par des grandeurs physiques mesurables comme l’a laissé apparaître la première partie. Cette seconde partie a montré comment pouvait être construites des gammes et des systèmes tonals cohérents entre eux. S’il apparaît donc clairement que la physique et les mathématiques sont sous jacentes à l’interprétation musicale, qu’en est il de la dimension purement intellectuelle que représente la composition ?

Imaginer, inventer, créer.

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